Interview "La Foi" | 2004

Entretien réalisé en août 2004

Anika Mignotte est un être rare. 

Depuis longtemps et du fond de "sa retraite", elle médite et explore les mystères et les vérités qui structurent et/ou ruinent les potentialités du vivre en soi, dans les autres, dans la création, dans le monde. 

Accompagnée par les travaux de Francisco Varela, de Jean Decety, de scientifiques, d’artistes, d’initiés de tous horizons de l’existence, elle va ouvrir dans SKLUNK, dès le numéro de février 2006, un espace dédié à la transmission des enjeux de ces travaux fondateurs. 

Nous allons nommer ce lieu : Labo " Cognition - Création " ( de soi ), et nous aurons régulièrement rendez-vous, ici, pour cette exploration rugueuse, rigoureuse et lumineuse finalement.

En préambule, rencontre et entretien autour de quelques mots "clefs", choisis par SKLUNK.

Pierre Bongiovanni, pour SKLUNK (01 2006).

INVISIBLE

" Autrui "

( silence ) … Etant donné la configuration de ma vie actuelle, autant subie que choisie, qui est la solitude, je suis forcément nourrie par les mondes des autres … tout le temps, en permanence décentrée de moi. En permanence dans une sorte de " no man’s land " –sans doute imaginaire puisqu’il s’agit d’une activité mentale ou " médiumnique " ( sourire ), … de relation à l’autre, mais de relation " présence / absence ".
C’est une exploration –des voyages, comme des rêves à longueur de journée, de nuit et d’insomnies …, qui consiste à entrer dans la présence de l’autre qui n’est pas là ( y compris des êtres qui ne sont plus vivants ). Ce monde d’absence qui m’entoure, je le rappelle à moi dans le " lived body " ( corps vivant/vécu ) dirait Francisco VARELA, au fil de nombreuses " simulations " dirait Jean DECETY.
C’est une téléprésence continuelle qui n’advient que " dans autrui ", que dans des entités ayant des singularités de présence qui ne sont pas qu’informationnelles ( il ne s’agit pas de Dieu ), que dans des entités humaines qui traversent ou ont traversé " ici ".
C’est là mon type de " soumission " à ma vie ( je n’ai en effet pas forcément eu l’impression d’avoir choisi cela ) qui est en même temps mon type de " sublimation ", mon " possible ". L’invisible représente l’essentiel de ma vie dans ce qu’elle peut avoir d’intéressant ( rires ). Chez moi " tout est planqué " … ! Puisqu’en plus, pour le moment, rien n’est encore tout à fait " né ".
Mais c’est très fort, tout plein d’attention, de don. Les êtres concernés par cette manière de relation que j’entretiens avec eux, me le rendent aussi … Ce qui est parfois très étrange par contre, c’est que de l’un à l’autre, je suis très différente –très blanche pour les uns, très noire ou rouge pour les autres. Chacun à sa sauce m’utilise, et moi comme une " maman " très entêtée et peut-être un peu idiote ( parce que franchement, parfois c’est au détriment de mon équilibre ), je persévère dans l’attention, la présence, le suivi, à l’autre. Et ces " autres " reviennent, puis s’en vont, puis reviennent, puis s’en vont … Je suis un peu psy ! ( sourire ).

sklunk : " La femme est la sentinelle de l’invisible " ( Jean-Paul II - 15 août 2004 )

Cet Invisible-là est lié à Marie évidemment, à l’accueil attentif d’une chose à naître, d’une manifestation en cours, opérationnelle depuis le début des temps, et à laquelle personne ne porte attention ! Ici, nous sommes au coeur de ce qu’est réellement cette manifestation " invisible " en cours, en process dans le cosmos … ( … ). Cette " triade ", ce " Tao ", cette " énaction " –il y a beaucoup de mots pour exprimer cela, part de la matière. ( … )
Francisco VARELA parle de " radical embodiment " et dans " embodiment ", il y a le caractère immanent de ce que l’organisation de la matière fait advenir –qui est plus que la somme de ses parties : qui est l’organisation elle-même, à savoir de l’information. " Embodiment " qui petit à petit, au fil de l’évolution, fait que dans ces unités incarnées-là, dans ces cellules de vie-là, qui sont des systèmes autonomes/autopoïétiques, et dont l’auto-organisation se complexifie au fil de leur relation/énaction avec l’environnement, il y a émergence du " sentiment de soi ".
La conscience de cette toute petite chose, qui naît à ce moment-là … me foudroie. On peut imaginer des organismes très primitifs qui à un moment donné ont commencé à être capables de " subjectivité propre " ( tout d’abord minimalement " homéostatique " ( cf. Antonio DAMASIO : " Le Sentiment même de soi " / The Feeling of What Happens " ).
Là, à ce moment-là, il commence à y avoir un réel épousement de deux règnes qui vont se co-déterminer, s’aimer, se meurtrir … Sans isomorphisme, qui vont parvenir à se co-définir, à établir une friction : là est l’invisible, dans la relation de ces deux règnes, celui de la matière et celui du non-substantiel, du " mind ", de la conscience. Ces " règnes " se co-génèrent dans un double process " situé ", très pragmatique : à la fois ascendant/émergent ( upward causation ) : à savoir le fait que l’auto-organisation matérielle/physique des systèmes vivants les crée en tant qu’unités dynamiques autonomes dans lesquelles s’opère une genèse de la perception, un avènement de la conscience ( tant en ontogenèse qu’en phylogenèse ) ; et descendant/forward ( downward causation ) : à savoir le fait que cette conscience qui sait se fixer des buts, faire oeuvre créatrice dans sa présence au monde, peut à son tour, du fait de sa cohérence globale, exercer un effet forward ( retour ) sur l’ensemble des sous-parties matérielles qui la constituent. Ce mode loop à deux voies " upward/downward ", on le retrouve tel quel dans le fonctionnement neurodynamique de nos cellules neuronales par exemple. Il apparaît assez universel. C’est lui qui empiriquement, progressivement, contextuellement, manifeste, révèle ce qui ici, dans cet entretien, est appelé " Invisible " et qui peut aussi être appelé " Transcendance ". Francisco VARELA et Evan THOMPSON avancent ici l’idée d’un " Empirisme Transcendantal ".
Ces modélisations sont des manières de mettre à plat les process de montée en puissance et en complexification de l’Organisation, et du transfert d’Information qu’ils engendrent dans les formes de la matière, puis dans les mondes de la subjectivité et de la conscience.

VIRGINITÉ

" Absence d’inscription "

( rires ) J’ai envie de dire " c’est l’horreur ! ". Cela m’évoque un corps dans lequel il n’y a pas d’" inscription de l’esprit " ( cf. VARELA, THOMPSON & ROSCH : " L’Inscription Corporelle de l’Esprit " / " The Embodied Mind " ), un corps qui ne sait pas se servir de lui-même, un mental sans contact sensoriel avec son potentiel physique –seul capable de lui donner le " sentiment de lui ". Cela m’évoque un mental pas inscrit dans le corps donc, un mental dissocié … et donc des épousailles entre " les deux règnes " qui n’ont pas réussi … Par voie de conséquence : de la souffrance, le développement de maladies mentales …
Ici, il s’agit d’une virginité au sens de : est-ce que ce corps va réussir à me donner le sentiment de " qui je suis " ? … Il m’a fallu très longtemps pour y parvenir … ( pleurs )
La virginité ici est le vivre d’un seul pan de la triade –comme hermétique à l’autre, alors que le Tao en tant qu’unité pleinement réalisée, est le " lived body " –le corps vivant / vécu dans l’entier de sa nature. Le Tao n’est pas la virginité dans ce sens-là du mot virginité ( " absence d’inscription corporelle " ). Par contre, le Tao est peut-être à considérer du point de vue de l’" Immaculée Conception " …

" Immaculée Conception "

Le Tao, c’est le juste équilibre, et ce juste équilibre est " ce qui atteint la cible ". En cela, c’est le " sans péché " … Et pour en revenir à Marie, là est probablement la véritable description de ce qu’est une " Immaculée Conception ". 
( silence ) … Ici nous sommes évidemment au cœur du mystère chrétien, parce que … Marie, l’idée que Jésus naisse d’une maman à la fois Immaculée Conception ( née sans péché ) et Vierge ( fécondée non charnellement ), puis l’idée d’une physique de la matière qui puisse ressembler à un état de Résurrection, … tout cela n’est pas à méditer du point de vue d’un dogme. Là, la malheureuse Eglise s’est certes donné pour mission d’inscrire durablement les mystères premiers, mais son choix de les fixer si " a priori " et péremptoirement les transforme, les défigure, d’une manière qui ne ressemble absolument pas à ce sur quoi il serait sans doute utile de se concentrer et de méditer… La véritable question –si Bernadette a bien reçu de Marie ce mot-clé d’Immaculée Conception, c’est de se demander ce qu’il veut dire. Et est-ce réellement d’une virginité de la chair dont il s’agit ? Déplacer la question de la virginité automatiquement à cet endroit-là ( sexuel ) est peut-être bien complètement faux.
La virginité ( du point de vue du " né sans péché " ), c’est le Tao : les deux ensemble, la complétude, la voie du milieu, l’amour, la synchronie. C’est tout ce qu’apparaît être justement le fruit de cette naissance par l’Immaculée Conception : à savoir Jésus. Alors après …, le mystère de Son incarnation, savoir comment il a réellement été conçu, par la chair d’un homme ou dans la plus grande virtualité de la matière … cela, franchement, comme tout le monde, je n’en ai aucune idée, et de ce fait ( puisque l’on ne peut savoir ), cela m’indiffère relativement.

" Conscience et mathématique "

Par contre, je crois beaucoup en un potentiel complètement insoupçonné de la matière lié à une évolution des " manifestations " vers des terrains de pratiques qui ne sont pas encore les nôtres. Potentiel qui fera que cette physique ( de la matière ) continuera de créer, de formuler, des formes certes toujours incarnées, mais des formes d’organismes, d’unités, d’agents, de personnes ou de flux, très différentes de tout ce que l’on peut nous humains à ce jour imaginer. Je crois donc par là qu’un état dit de Résurrection pourrait tout à fait advenir de manière évolutive et naturelle.
Je ne suis pas vraiment bouddhiste ( au sens de " pratiquante ", quoi que … ), mais quand j’entends les bouddhistes parler de flux de conscience, de qualité de méditation pouvant amener à des types de conscience où l’on n’est plus vraiment soi en tant que personne, cela me convient très bien. Rejoindre la qualité de ce(s) flux-là est une chose dont j’ai en fait très envie. Me quitter moi, quitter ma personnalité de maintenant, mon nom … pour aller rejoindre ce(s) flux-là : " l’ontologie " de ce que je suis vraiment … ( pleurs ) …
Ce que je décris là comme " expérience " n’est en fait toujours pour moi pas autre chose que de la physique de la matière. Ce ne sont que des équations mathématiques que la Physique Théorique n’a de cesse de continuer à traquer et à élaborer …

" Instantons et Monopoles "

Récemment, j’ai appris deux nouveaux mots –pas très jolis, mais qui décrivent des réalités physiques qui me plaisent énormément, et qui en tout cas du point de vue de la " description " sont une nouvelle porte : les instantons et les monopoles. Des chercheurs, physiciens et mathématiciens, essayent de décrire ce qui a précédé le ( procédé au ) big-bang ( en deçà du mur de Planck - limite du monde physique ). Quelle est la nature des composants de ce processus graduel, parti du point gravitationnel singulier zéro –et qui à un moment donné s’est enclenché dans ( a déclenché ) l’espace temporel ?
Grossièrement, le point de départ, l’origine, serait un tout mathématique informationnel contenant tout sans écoulement de temps. Comme une série d’images arrêtées, de " temps ( seulement ) imaginaires ", de bulles figées. Une galaxie d’" instantons " ! Telles les images d’un film prises une par une, les instantons sont de l’information non mouvante, non advenue dans le flux temporel.
Dans ce récit, cette hypothèse des premiers " soubresauts " de l’origine, à l’échelle donc d’une temporalité pour nous encore inexistante, les instantons commencent tout doucement à s’animer, les " bulles " à lentement entrer en mouvement, jusqu’à petit à petit advenir en " monopoles " –entités de matière situées elles dans le " temps réel ", dans l’énergie en mouvement. Dans cette description, la progression en passe par un état d’équilibre entre les deux, dit état KMS ( au mur de Planck ). On passerait donc d’une information qui n’est pas dans le temps à une information transformée en énergie, qui devient un flux de matière dans l’espace-temps.
Comme métaphore, on peut dire que, dans un premier temps, toute l’information serait stockée sur un CD en position " stop ", et que " play " serait le big-bang.

" Conscience Substrat "

Les flux ontologiques d’avant et d’après nos vies ( i.e. nos existences phénoménologiques ) seraient alors ( pourquoi pas ) des flux informationnels qui " seraient nous " encore plus radicalement que nos consciences incarnées. Ce seraient nos consciences " substrats ". J’ai beaucoup d’amour pour ma " conscience substrat ", pour l’intuition avec laquelle je suis née, mais très peu ( pas assez ) de respect pour l’identité " phénoménologique " que je suis en tant que personne d’ici et maintenant ( ce qui n’est pas bien …).
La manifestation de l’Invisible, on y revient, c’est ce processus d’amour, cette nécessité, ce besoin radical qu’ont les êtres ( pour devenir toujours plus eux-mêmes, pour se créer, s’affirmer toujours plus en connexion avec leur intuition profonde –" substrat " ), d’entretenir des liens, des relations de co-détermination les uns avec/envers les autres. Tout cela pour que l’autre/moi devienne lui, se réalise lui, réalise ce que c’est que cette histoire d’être " son information fondamentale ", le flux d’où il vient –ceci dans une histoire incarnée, vivante, singulière ( un corps : des chromosomes - un environnement : un temps, un pays, des proches, … ) : ce qui est bien là le plus difficile, voire le " bordel absolu " ! à tout bien considérer la difficulté des contextes dans lesquels on est susceptibles de pouvoir débarquer ici-bas.
C’est la force de création donnée par le flux informationnel originel, initial, qui permet à chacun de se (re)créer de manière autonome au sein même des règles du vivant cognitif. Ces choses sont très difficiles, effroyables et dangereuses même à décrire ; sans doute hérissantes et irritantes à lire, je le sais bien, et elles n’engagent que moi.
Mais pour moi, elles sont la description ultime d’un " soi sans soi " ( i.e. a " selfless self " : cf. VARELA ). Nous nous vivons la plupart du temps comme des unités perceptives tout à fait centrées, mais en fait nous sommes fragmentés ; notre identité est distribuées, et notre " moi " n’est nulle part : notre cohérence interne ne tient que par la dynamique micro-temporelle qui fait coexister, co-habiter, se hiérarchiser, tou(te)s nos micro-mondes/identités.
A une échelle imaginaire supérieure, si en tant qu’êtres humains, nous nous sentons, nous pratiquons souvent ( nous limitons en fait ), dans des trajectoires temporelles monolithes, parcourant une seule image à la fois, on pourrait rêver que notre flux originel, lui, s’expérimente simultanément dans " plein " d’images, de temps et d’endroits différents. Que nous appartenions à ce " plein ", que nous en soyons une unité ( de mesure ), et qu’en cela, nous nous trouvions reliés à beaucoup d’autres entités vivantes appartenant au même flux. Au final, qu’à nous tous nous formions qui nous sommes vraiment !
Ce sont ici bien sûr des spéculations de l’esprit, mais qui peuvent aussi devenir de vagues intuitions. Et l’humain fait ce qu’il peut avec cela : je fais ce que je peux avec cela … ( pleurs ).

FRONTIÈRE

" Une simple cellule "

Ah … ! C’est Le mot qui m’est Le plus étranger ; un mot en tout cas que je n’aime pas –lié au " savoir couper ", alors que personnellement je me sens plutôt de nature " imbibée ", poreuse au monde. Je me sens de l’osmose, telle une véritable membrane qui entretient des échanges avec d’autres membranes ( mêmes " virtuelles " :). Penser à l’osmose me met direct en méditation devant une cellule ! Comme si un jour, je n’avais été que cette cellule, et que l’expérience de cette petite phénoménologie-là était déjà absolument génialissime ! En fait ( sourire ), j’ai le fantasme de la cellule ! Mes vies antérieures ont dues être faites de simples cellules ! ( rires ). Etre humain est sans doute déjà trop compliqué pour moi, trop élaboré … : les formes ( de l’inconscient au langage ), les spécialisations et par conséquent aussi " les frontières ", y sont déjà très inscrites ( plus que dans l’animal en tout cas … ! ). Je ne me sens pas très à l’aise avec le langage par exemple : avec le fait de discourir, de disserter, d’agencer des formes de pensée de façon purement idéelle, sans passer par le point de vue du vécu, de la cognition incarnée ( i.e. de la phénoménologie du récit en 1ère personne : cf. VARELA ).
Pour dissoudre les frontières qui me constituent nécessairement comme humaine, j’ai sans cesse besoin d'en revenir au " continuum d’eau " ( de façon absolument récurrente dans mes images par exemple ) : le seul endroit où je me sente bien : " un( e ) " ( unie ). Je pense que bébé, puis petite fille, je me suis sentie très bien. A un moment pourtant, cela s’est déréglé, et je me suis justement mise à souffrir des frontières : du non-lien, de la non-continuité, du non-mouvement ( tout d’abord corporel, entraînant le non-mouvement mental ). Les frontières ( incompatibilités ) entre les êtres m’ont beaucoup marquées aussi.

" Les TOCs "

Tout cela a fait que mon intuition, mon sentiment, mon cri, par rapport " à l’origine ", est devenu le respect absolu de cette identité première, unique, à partir de laquelle la personnalité de l’enfant se fabrique, dans une forme à la fois " finie " ( clôturée/autonome ), et " ouverte " ( énactive/empathique avec son environnement/autrui ). Identité qui n’a de cesse d’affirmer le sens de son équilibre, de son auto-création propres, mais avec souplesse ( relationnelle ). Dernière dimension absente de mon développement pré-adolescent … moment précisément où tout s’est craquelé, comme un cerveau dont les différents modules ne communiqueraient plus entre eux, ne se " rythmeraient " plus, ne se synchroniseraient plus, pour permettre l’expérience de la perception.
Quand, par je ne sais trop quelle alchimie psychologique, vous en êtes arrivés à vivre ces choses-là … ce qui peut se produire, et qui s’est alors produit chez moi, c’est que pour rassembler ce  " corps-mental " éclaté ( et là cela devient de la maladie … ), certaines personnes développent des tocs ( troubles obsessionnels compulsifs ). Ce qui n’est pas assemblé dans le sentiment biologique de la pulsation originelle –universelle ( dans le sentiment du lien, du contact, avec soi et avec l’environnement ), se trouve alors recréé/réapproprié par le sujet via une sorte de ritournelle compulsive de répétition sans fin de certains gestes. Cette répétition (sensori)-motrice, rituelle, tatillonne, acharnée, marque la volonté toute aussi acharnée du sujet ( souffrant ) d’entrer dans un " fichu rythme ", une fichue micro-temporalité dynamique vécue –dont le sentiment naturel lui échappe –qu’il ne parvient pas à agripper, à inscrire et stabiliser durablement en lui. Ici, la pratique ultime des tocs en deviendrait presque alors " musicale ". Quand cela m’est arrivé, ici s’est exprimée en moi une envie d’ordre vital –bien qu’ignorante d’elle-même, de trouver et de réussir " son incarnation " –expression de la nécessité absolue du sujet de naître au " sentiment de lui " et au " devenir conscient ". Mais le faire comme cela, emprunter ce chemin de traverse-là, cette voie dérivée tordue ( les tocs ), assurément " fout en l’air "… ! Rend dépendant de soi et hermétique à l’environnement réel.
Donc … beaucoup plus tard, … j’ai délié tout cela … pour le recombiner dans le bon rythme ( cf. environnement " Corps-Mental " ).. Enfin presque ( … ) parce que les lieux, les terrains phénoménologiques, liés au sentiment certain de la construction ontologique de soi, s’avèrent souvent, à peu de choses près … impraticables !

CRÉATION ARTISTIQUE

" Création Tout court "

Je n’aime pas bien ce mot-là. " Création " tout court me suffit –création " de soi ", car c’est elle qui est visée. Pratiquer la création " artistique " par contre a un avantage certain : celui de laisser plein de cailloux sur le chemin … qui sont autant de fixations récapitulatives, synthétiques, d’en cours inconscients non soupçonnés parfois. Les œuvres artistiques sont susceptibles alors de piloter notre " devenir conscient " ( individuel et/ou collectif –pour les grands artistes ), jouant le rôle de révélateurs au fil de nos bifurcations mentales profondes ( individuelles et/ou collectives ). Elles sont aptes à nous mettre consciemment en accord profond avec nous-mêmes.
Pour cela, dans ma modeste pratique de fabrication de l’image ( peinte ou numérique ), je sais rarement ce que je vais faire avant de le faire … Pour moi, le moment de créer est vraiment quasiment " le seul qui compte ", et avec les nouveaux dispositifs  ( anika mignotte réalise des dispositifs immersifs interactifs ), il est formidable d’imaginer que le visiteur puisse consciemment vivre " le moment de l’expérience de la création ".
A savoir que cet espace du " moment de l’expérience " devienne l’actualisation d’une création partagée … Avec pour le visiteur, l’émergence peut-être de phénomènes expérientiels ( mentaux, émotionnels ) semblables à ceux que le créateur a lui-même éprouvés au moment de créer. Au fil de mes travaux, c’est réellement cela que je souhaiterais transmettre : que le visiteur sente / se remplisse de son centre de création propre.
Lorsque je crée des images, ce sont " des amies ", des compagnons … beaucoup plus intelligents, éclairés, que moi. Si je les écoute ( et je ne fais que cela ! ), ils me racontent " des choses " qu’après coup je peux effectivement repérer, des choses dont je peux formuler l’origine et la signification inconscientes, mais sans jamais avoir eu consciemment l’intention de les dire. Ma grande passion est de faire advenir des formes qui sont " des amies " … de l’invisible ( pleurs ) … qui m’aident à définir là où je dois aller pour poursuivre la route … de " la manifestation du flux ". Ces images-amies sont des " manifestations du flux " ( sourire ) –manifestations et traces partageables ( dans une certaine mesure ) de la " création de soi ". Les grands artistes sans le vouloir fondent leur " soi " avec le " soi " du monde.
Les manifestations artistiques sont en fait des " instantons " ( sourire ) : des images arrêtées du flux. Chacune est " une vérité " : une composition de plus dans le panel de tout ce qui peut exister comme émergences de formes au monde. Manifestations, compositions, émergences, vérités, toujours révélées, générées, dans la pensée-racine –celle qui nous échappe … Celle qui me permet donc de dire que ces images-amies " ne sont pas forcément que moi " ou sont des " moi latents " … formidablement éclairants.
La création, c’est un système de révélation permanent ! C’est la joie : le phénomène-racine des épousailles en question permettant la révélation de l’information via l’organisation exponentielle des systèmes / supports / matières. C’est vraiment le moment de " la Rencontre "… C’est " l’Instant-clé " ! Et c’est plein d’amour … ( pleurs ).

" En maternité d’Aimer "

Je me sens en maternité constante par rapport à " aimer ", à ce qu’est " aimer " ( rires et pleurs … ) … Pour commenter mon émotion présente à cet endroit, je dirais que pour les sciences cognitives ( cf. VARELA ), le phénomène émotionnel est une réaction de rééquilibrage à une déstabilisation interne de l’organisme, l’expression d’un déversement là où la perturbation externe est trop forte. Alors pourquoi " aimer " me perturbe systématiquement à ce point, à la racine de l’être … ? Je ne sais pas … En fait, à bien y réfléchir, je pense que la raison en est que ces dernières années, c’est tout ce qu'il me reste … " Aimer " ( " créer " pour/avec l’autre ) est le seul endroit reclus où je peux continuer à exister de manière autonome. L’humanité toute entière se trouve aussi sans doute un peu dans cette posture … Dans l’humanité, oui, nous sommes assurément beaucoup de " petits soldats " à nous bagarrer pour cela … pour ce process créateur sublime –manifestation de l’invisible : " aimer " … lié uniquement à engendrer, donner, laisser aller, se donner, s’abandonner, se dissoudre … se consumer, transformer toute l’énergie que l’on est en don. Pour l’autre … pour la synthèse Tao de ce qu’est la création / l’énaction avec l’autre. L’étincelle de larmes chez moi vient de l’urgence, de l’enjeu, à cela. Et ici quelque chose de franchement sincère se déclenche et me traverse systématiquement de façon ultra violente en relation à Francisco VARELA. Le sentiment d’appartenance à un endroit commun dans l’intention me foudroie. Nous sommes des manifestations, des manifestants, de cette singularité oppressée de nos jours comme avant, et qui a besoin d’y revenir absolument constamment … à cause des frontières ( justement ) et des non-continuums …

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